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Les sorcières


    Pendant tout le XVIème siècle et une partie du XVIIème, les justices ecclésiastiques et laïques exercèrent leur rigueur contre le crime stupide de vénéfice et sortilège. La Lorraine fut alors en proie à une véritable épidémie de sorcellerie: partout on voyait des sorciers et des sorcières, il n'existait pas de village où l'on ne pût désigner le lieu ordinaire des réunions nocturnes.
Illustration     Le Procureur général de Lorraine, l'odieux Nicolas Remy qu'on a surnommé le Torquemade lorrain, dans l'espace de 50 ans, fit brûler plus de neuf cents personnes. Ce fut comme un vent de folie qui souffla sur nos villes et nos campagnes de l'Est pendant près d'un demi siècle.

    Parmi les villages des Vosges, celui de Moyemont s'est rendu tristement célèbre par le grand nombre de victimes qu'il fournit aux bûchers de Saint-Dié, et jusqu'à notre époque s'est perpétué le souvenir des Sorciers de Moyemont.
    Un grand nombre de procès de sorcellerie nous ont été conservés. A Moyemont, vers l'extrême fin du XVIème siècle et le commencement du XVIIème, on peut relever les noms suivants de sorciers et sorcières condamnés et brûlés :

Barbe, femme de Jean Remy, Colin, Jeannoy femme de Claudon HOUAT, Didier Mathis, Jean Gérard, Claudette femme de Jean Claudon, Colas Pearin, Jeannon Marchal et François son frère, Nicole Gourat, etc.,… Et combien d'autres, dont les traces des procès ne sont pas parvenus jusqu'à nous !

    Tous ces procès varient peu et l'on reste confondu devant le degré de superstition, de bêtise et de cruauté que peut atteindre l'esprit humain.
    Les aveux et les récits des sorciers se ressemblent ou du moins n'offrent que de légères variantes. Il n'y a pas là de quoi nous étonner : on était tellement habitué à attribuer la mort, les maladies, la grêle, la foudre, la gelée à l'influence des sorciers ; une telle obsession pesait sur les esprits qu'il est tout naturel d'entendre les sorciers et les sorcières raconter dans les tortures, avec beaucoup d'analogie, les histoires dont ils avaient la tête si remplie.
    Il n'est même pas rare de rencontrer de malheureuses femmes qui, en proie à une sorte d'hallucination, avouent, de leur plein gré, sans tourment, presque avec orgueil, leurs rapports avec le diable, et sont convaincues de leur qualité de sorcières, du pouvoir qu'on leur attribue et de leur assistance au sabbat.
    Généralement, la sorcière était emprisonnée sur les plaintes et les dénonciations des habitants du village. Interrogée, elle commençait par nier; alors, on la soumettait à la torture, après l'avoir entièrement rasée.
    Les supplices employés étaient surtout ceux de l'échelle, sur laquelle on allongeait l'accusée et où elle était " étirée ", les grésillons, sorte de menottes rougies au feu, de l'eau qu'on lui entonnait dans le corps.Ce dernier supplice était l'un des plus douloureux, paraît-il.
Dessin de la prison     Presque toujours, après la torture, la sorcière entrait dans la voie des aveux. Voici ce qu'elle déclarait : le Diable, tout habillé de noir, était venu la trouver un jour où elle éprouvait un grand chagrin ou une violente colère. Aussitôt elle s'était donnée à lui et avait renié Dieu.
    Elle se trouvait ensuite griffée au front, et le Diable qui, à Moyemont s'appelle " maître Percin " après avoir, selon l'expression du temps " connu charnellement " sa nouvelle cliente, lui donnait trois sortes de poudre : " de la noire pour faire mourir, de la grise pour faire languir, de la blanche pour guérir ".

    Pendant qu'on la torturait, la sorcière déclarait s'être servie de ces poudres pour donner la mort et détruire les récoltes; elle disait avoir porté au sabbat une hostie consacrée le jour de Pâques, racontant ce qui se passait dans les réunions nocturnes des sorciers où elle se rendait, tantôt à pied, tantôt à cheval sur un bâton.
    On montre encore aujourd'hui l'endroit où avait lieu le sabbat à Moyemont, les jours de mercredi ou de jeudi.C'est un lieu dit "au Pinat", où " il y a un bois et joignant un prey ". Sur le plan cadastral, cet emplacement est appelé Devant Pinat et se trouve dans la Section B ou de Longchamp. Les habitants de Moyemont certifient encore que là avaient lieu les réunions des sorciers.
    Là, tous les assistants portant des masques dansaient " au son d'une flûte jouée par un habillé de noir " ; ensuite on mangeait de la chair crue, sans pain ni sel, on produisait de la grêle en frappant le ruisseau à l'aide de baguettes blanches données par maître Percin, autrement dit le Diable.
    Les juges demandaient aussi à l'accusée si elle avait reconnu d'autres sorcières au sabbat, et presque toujours, elle citait les noms de quelques compatriotes : il n'en fallait pas de davantage pour les faire emprisonner, et les malheureuses ainsi dénoncées ne tardaient guère à rejoindre sur le bûcher leur dénonciatrice.
    Dés que les juges avaient arraché un aveu à un sorcier ou à une sorcière, le châtiment ne se faisait pas attendre.

    Il est prouvé par les interrogatoires que, presque toujours, les sorcières avouaient dès qu'elles étaient soumises à la question ; pourtant on en voit quelques une persister à nier malgré l'atrocité de la torture, celles-là étaient renvoyées "jusques à rappel".C'est seulement après avoir arraché des aveux à l'accusée qu'on pouvait la condamner au feu.

    Une prétendue sorcière de Moyemont, Claudette Poirot, mérite, dans ce genre, d'être citée. Cette malheureuse fut dénoncée comme sorcière en la même année que Barbe. Sa mère avait été brûlée pour le même crime : elle était toute désignée. On l'emprisonna ; deux fois elle résista à la question, mais, n'ayant rien à avouer, elle fut envoyée " jusques à rappel ".
    En 1618, c'est à dire cinq ans après, sur la plainte de quelques habitants de Moyemont, les gens du Chapître la firent arrêter de nouveau. Les tortures qu'on lui fit subir furent une nouvelle fois impuissantes à lui arracher un aveu. Ses réponses nous donnent la navrante expression de son désespoir :
" Elle prie Notre-Seigneur de vouloir faire connaître la vérité de ses actions ; elle reconnaît qu'en ce monde il n'y a plus de bien pour elle, et elle sait qu'elle ne peut échapper d'avoir la question tant que son corps en pourra porter. "

    Elle fut une seconde fois renvoyée. L'année suivante, Claudette Poirot fut emprisonnée à nouveau. Pour le troisième fois, elle put subir la torture sans laisser échapper un aveu : il fallait que cette pauvre fille eût l'âme chevillée au corps pour endurer tant de supplices.
    Les gens du Chapitre durent enfin rendre une sentence définitive. Ne pouvant brûler l'accusée, puisqu'elle n'avait rien avoué, ils la frappèrent de bannissement : les termes du jugement méritent d'être rapportés :

" Nous, Jean de Guerre, juge pour Messieurs les vénérables doyen et chanoines du chapitre de l'insigne église de Saint-Dié, résidant au dit lieu, après avoir revu et considéré trois procès, extraordinairement instruits, contre Claudette Poirot, fille née à Moyemont sujette des dits Messieurs, prévenue et fortement atteinte du crime de sortilège et vénéfice ;
Le premier procès instruit par les officiers et gens de justice des dits Messieurs de la dite ville de Saint-Dié, à la requête de leur procureur d'office, en l'an 1613 ;
le second rendu par les officiers de Moyemont, à la requête du Procureur d'office du Chaumonois, en l'an 1618 ;
et le troisième d'il y a deux à trois mois ;
En suite des dénonciations, plaintes et guérimonies nouvelles, faites par la population du village de Moyemont, qui réclament sans cesse contre les mauvaises vie et renommée de la dite Claudette, à l'égard du crime dont elle est accusée ;
vu trois diverses informations préparatoires et autant d'auditions de bouche ;
après recollement et confrontation d'un nombre infini de témoins produits contre elle ;
vu les deux actes ou procès verbaux des questions à elle données ;
vu le contenu des deux avis de Messieurs les Maître Eschevin et Eschevins de Nancy, les tourments qu'elle a endurés sans avoir pu l'engager à entrer en confession de ses maléfices ;
De tout quoi, ainsi que des réponses qu'elle a faites à la troisième procédure, il y a lieu de constater qu'elle est toute disposée à subir aussi facilement les mêmes tortures que si elle n'en était aucunement incommodée, résolue qu'elle est de plutôt mourir que de venir à avouer ses maléfices ;

Nous, après avoir mûrement examiné chacun des dits points et sur chacun d'eux avoir au préalable pris l'avis des sages;
Disons, par notre présente et définitive sentence et avec droits qu'il y a juste sujet,

    1° De lever l'horreur et le scandale que la dite Claudette apporte à ses cohabitants ; et afin de lui procurer à elle-même du repos.
Ensuite des soumissions qu'elle a faites de son plein gré de vouloir se retirer du dit village de Moyemont ;
    2° De la bannir dès à présent, pour maintenant et pour toujours du dit Moyemont, comme de toutes les terres et seigneuries des dits Doyen et Chanoines de Saint-Dié ;
    3° S''abstenir dorénavant et pour jamais, d'y aller résider, hanter et fréquenter, à telle peine que de droit.
A quoi, nous l'avons condamnée et condamnons dès à présent par notre dite sentence.
Ainsi prononcée au dit Saint-Dié, en présence de la dite Claudette, amenée au lieu de la Pierre Hardie, cejourd'hui 25 février 1619.
Ont signé Jean Didier, Nicolas Granclaude et plusieurs autres bourgeois de Saint-Dié, appelés comme témoins. "
Photo de la prison

    Ces exécutions de sorcières durèrent jusqu'en 1635. Après cette époque, il y eut bien encore quelques procès de sorcellerie, mais on se contentait de confisquer les biens des sorciers. Ce n'est qu'en 1672 qu'une ordonnance de Louis XIV défendit aux tribunaux de connaître en matières de sorcellerie.

    La prison du village, aussi appelée tour mathiate, témoigne encore de cette époque. C'était le lieu où un grand nombre d'hommes et de femmes accusées de sorcellerie y étaient emprisonnées en attente des interrogatoires.

Extrait de: " Monographie de la commune de Moyemont par ANTOINE Louis, Instituteur - Août 1899 "
Dessin de la prison: Fernand Grosjean - "Traits de Mémoire"